
Entretien avec Raphaël Saint-Cyr, Domaine Saint-Cyr
- Aurore
- il y a 1 jour
- 6 min de lecture
Ce soir, c’est le grand soir ; le lancement du Beaujolais Nouveau 2025 ! À cette occasion, nous avons voulu échanger avec un vigneron bien connu, figure du sans-intrant, dans la région : Raphaël Saint-Cyr. On vous recommande de goûter dès ce soir (et tant qu’il en reste !) son « Bojo Nouveau » de 2025 ; French Kiss Kanon.
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Un mot sur la cuvée ?
Moi, j'ai envie de faire le vin de façon naturelle. Comme le souligne la contre-étiquette d’ailleurs, c’est le Beaujolais nouveau « comme avant ». Et du coup, c'est un petit canon que je ne fais qu'avec les clients qui travaillent avec nous sur le reste de l’année et sur les autres cuvées.
Depuis quelques dizaines d’années, le monde du vin a évolué, et souvent on a voulu faire changer le vin pour l’adapter au palais du consommateur. Aujourd'hui, on trouve beaucoup de Beaujolais nouveaux qui sont un peu durs (pas mauvais pour autant !)… et qui mériteraient de passer l'hiver en cave pour être bus au printemps. Ce n’est pas ça un Beaujolais Nouveau, c’est un primeur de 3 semaines ! On a modifié le goût bien-sûr (ndlr. : en ajoutant des levures au goût de banane par ex), mais aussi la texture, la couleur, la limpidité, tout ça. Alors qu'un Beaujolais nouveau, « avant », c’était trouble, c'était tout rose, il n'y avait pas de tanin… c’était que du fruit ! Donc moi, je me rapproche de ça.
French Kiss Kanon, c'est une vraie cuvée à part entière, avec une vinification spécifique, issue d’un seul terroir (qui est chaque année le même parce que ça me fait des bons primeurs tous les ans). L‘idée, c’est de sortir un canon qui ne soit pas trop extrait, et qui fasse quelque chose de sympa d’année en année. Bien sûr, on s’adapte au millésime (la pré-fermentaire peut durer 1 ou 2 semaines par ex, ou alors l’extraction des tanins lors de la fermentation dure elle aussi plus ou moins longtemps etc), mais chaque année on garde un certaine trame autour de la macération carbonique à froid. Comme toujours, c’est la dégustation (régulière) des moûts qui a le dernier mot et qui guide toutes mes actions.
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Qu'est-ce qui t'a conduit à la viticulture ?
Mon père avait un domaine, qui était dans la famille depuis 4 générations. Depuis le début, je savais que je voulais me tourner vers l’agriculture, et notamment vers le bio. Mais à ce moment, je ne savais pas encore si ce serait la viticulture ou une autre cuture. Et puis, il y a eu d’une part la reprise du domaine familial et d’autre part mes différentes expériences. Deux éléments qui m’ont fait aller vers la vigne et le vin.
Ça fait 17 ans que je suis installé ! Au début et pendant 7 ans : j’étais essentiellement au contact du végétal (pas trop de commerce ou autre), et puis « le reste » est venu au fur et à mesure. Aujourd’hui, je fais un peu de tout et j’apprécie toutes les facettes du métier… même si c’est très différent.
Qu'est-ce que tu dirais au toi d'il y a dix ans ?
Hm, « continue comme ça » ? En fait, c’était justement il y a dix ans que j’ai opéré mon changement de vinification (ndlr : passage à une vinification sans intrant). Il y avait bien sûr une part d’inspiration d’autres domaines que j’avais visités ou dans lesquels j’avais travaillé … Ou au contraire des modèles qui ne me plaisaient pas du tout - ex certains géants hyper industriels comme on peut en voir en Nouvelle-Zélande où j’ai travaillé juste avant de m’installer. Et bien sûr, il y avait aussi une part de préférences personnelles : j'ai appris à aimer des vins qui étaient faits de façon très naturelle. Et je me suis dit « pourquoi pas moi ? ».
Donc je savais où je voulais aller. Et puis le temps et le travail ont fait leur oeuvre. Je pense qu’on peut s’accorder à dire qu’aujourd’hui les vins sont bons, et à partir du moment où on a commencé à envoyer des vins comme ça ; tout s’est fluidifié. Ça a fait « boule de neige », et c'est allé très vite. Aujourd’hui, je suis content d'être arrivé là où j’en suis.
Quel a été ton plus marquant souvenir de vin ?
Sans trop d’hésitation ; les millésimes 2015 de chez P’tit Max (Guy Breton). Dégustés en 2016 à mes débuts, ils m’ont un peu fait comprendre que le vin, ça pouvait (même sur des millésimes très solaires) être très buvable, et top. Donc ça a conforté mes envies de travailler de manière plus naturelle.
Qu'est-ce que tu voudrais qu'on dise de tes vins ?
Bah que c'est bon ! Et puis, qu'on en reveut. Bien sûr, je laisse les autres juges de la qualité de mes vins, mais c'est souvent qu'on s'étonne de la rapidité à laquelle descend la bouteille. Ça me fait plaisir quand c’est le cas, car c’est ma manière de boire du vin. Ça veut dire que c’est bon, et qu’on ne se force pas !
Si tu devais vinifier un autre cépage ou un autre terroir, qu'est-ce que ce serait ?
Du savagnin pour faire des vins jaunes. Mais dans le Beaujolais ! On a des argilo-calcaires, on a des marnes, on a des choses comme ça. Ça pourrait joliment jouer avec un peu de savagnin !
Qu'est-ce que tu retiens de ta formation ?
Je ne suis pas allé apprendre à faire du vin à l’école, parce qu'il n’y a pas beaucoup d'endroits où on apprend à faire de la vigne en bio et des vins sans intrants. Donc j'ai décidé d'apprendre ça moi-même…
Dans un premier temps, j’ai appris à faire du vin « traditionnel » avec mon père. Et l’apport théorique de gestion d’une entreprise agricole s’est fait en BTS (BTS ACSE - Analyse et Conduite d'un Système d’Exploitation).
Ensuite, j’ai beaucoup échangé sur les pratiques culturales et façons de vinifier. Il en existe autant que de vigneron(ne)s. Et là, au temps se faire sa propre idée, et se former avec des gens qui savent faire (et/ou qui font depuis longtemps). C’est vraiment les échanges avec des vignerons ou professionnels qui bossaient plus naturellement, et avec mon père, qui m’ont convaincu de prendre cette voie plus proche de la nature. Par exemple, labourer les vignes à cheval : je me suis formé avec un professionnel pour ça. Aujourd’hui, j’ai deux chevaux pour 8 ha sur le domaine. L’objectif, c’est de tout faire à cheval à terme. Bref, ça fait tout son sens d’apprendre ça sur le terrain avec un pro plutôt qu’à l’école. On a tendance à tout segmenter (ex l’essor de la monoculture), alors qu’en fait ce sont deux approches très complémentaires. Et c’est en choisissant parmi ces différentes approches et discours ce qui nous parle, qu’on arrive à faire de belles choses.
Comment épouse-t-on au mieux la nature ?
Mon rapport à la nature : j’ai envie de la plaindre. Déjà, le problème de la viticulture aujourd’hui (et de l'agriculture en général), c'est la monoculture. On a perdu toute diversité, et c’est extrêmement dommage. La nature est maltraitée. Si nous qui faisons un produit de plaisir, on le fait de façon « sale » et sans respect, ça n'a pas de sens. Je préfère garder une certaine logique dans notre façon de travailler (à la vigne et en cave) ; et proposer des vins vrais et cohérents qui ne font de mal à personne, nature comme humains.
Est-ce qu'il y a eu une rencontre qui t'a aidé à voir les choses différement ?
Oui, bien sûr. On n'invente rien. J'ai juste découvert des façons de travailler chez les uns et les autres. Et j'en ai fait ma propre façon de travailler pour certaines pratiques.
Vraiment, la dégustation et la rencontre de P’tit Max a été vraiment une révélation sur ce que j'avais envie de faire chez moi, dans mes vignes et dans mes vins. Et puis, j'admire la ferme des Ruppert-Leroy. Ils ont des moutons, des vaches, des chevaux… Et bien sûr, ils ont aussi des vignes. Un bel exemple de polyculture, tout est cohérent. Dans les deux cas, ce sont des bons exemples à suivre, chacun sur certaines pratiques, et d'essayer de les ramener sur mon propre domaine.










